La frontière étatique, terme de l’aide humanitaire ? Une analyse du droit en action
Depuis la décision du Conseil constitutionnel français du 6 juillet 2018 sur la « fraternité », un acte humanitaire désintéressé est licite s’il est cantonné au territoire national et illicite s’il constitue une aide à l’entrée irrégulière sur ce territoire. C’est ainsi la frontière-ligne qui permet...
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Format: | Electronic Article |
Language: | French |
Published: |
2024
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In: |
Criminologie
Year: 2024, Volume: 57, Issue: 2, Pages: 135-159 |
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Summary: | Depuis la décision du Conseil constitutionnel français du 6 juillet 2018 sur la « fraternité », un acte humanitaire désintéressé est licite s’il est cantonné au territoire national et illicite s’il constitue une aide à l’entrée irrégulière sur ce territoire. C’est ainsi la frontière-ligne qui permet de déterminer la licéité d’un acte humanitaire. Cette survivance d’une catégorie de ligne frontalière interpelle en ce qu’elle contraste avec les analyses ayant démontré l’épaisseur et la mobilité de la frontière. Le présent article propose de prendre cette catégorie au sérieux en examinant à la fois la fonction qui lui est donnée dans le droit et les effets qu’elle produit une fois mise en oeuvre sur le terrain, à la frontière franco-italienne, vis-à-vis de la criminalisation des actes humanitaires. La méthode adoptée est celle de l’ethnographie juridique, qui consiste à considérer la technicité du droit tout en observant son opérationnalisation empirique. Cette approche permet d’exposer un double mécanisme lié à l’usage de la ligne frontalière. D’un côté, pour les aidants, la ligne se voit imposée comme une limite à ne pas franchir tandis que les dangers de la montagne sont indifférents à cette démarcation, ce qui remet en question le positionnement des bénévoles. De l’autre, par un certain usage de la procédure pénale, les acteurs de la criminalisation parviennent à reproduire l’épaisseur de la frontière pour sanctionner des actes réalisés dans l’espace frontalier même sans franchissement de frontière. Cela s’explique par l’ambiguïté pratique de la frontière qui neutralise la tentative des juges constitutionnels de protéger une liberté sur la base d’une distinction tenant sur une conception linéaire de la frontière. Mots-clés : Frontière, délit de solidarité, conseil constitutionnel, ethnographie juridique, aide humanitaire Depuis la décision du Conseil constitutionnel français du 6 juillet 2018 sur la « fraternité », un acte humanitaire désintéressé est licite s’il est cantonné au territoire national et illicite s’il constitue une aide à l’entrée irrégulière sur ce territoire. C’est ainsi la frontière-ligne qui permet de déterminer la licéité d’un acte humanitaire. Cette survivance d’une catégorie de ligne frontalière interpelle en ce qu’elle contraste avec les analyses ayant démontré l’épaisseur et la mobilité de la frontière. Le présent article propose de prendre cette catégorie au sérieux en examinant à la fois la fonction qui lui est donnée dans le droit et les effets qu’elle produit une fois mise en oeuvre sur le terrain, à la frontière franco-italienne, vis-à-vis de la criminalisation des actes humanitaires. La méthode adoptée est celle de l’ethnographie juridique, qui consiste à considérer la technicité du droit tout en observant son opérationnalisation empirique. Cette approche permet d’exposer un double mécanisme lié à l’usage de la ligne frontalière. D’un côté, pour les aidants, la ligne se voit imposée comme une limite à ne pas franchir tandis que les dangers de la montagne sont indifférents à cette démarcation, ce qui remet en question le positionnement des bénévoles. De l’autre, par un certain usage de la procédure pénale, les acteurs de la criminalisation parviennent à reproduire l’épaisseur de la frontière pour sanctionner des actes réalisés dans l’espace frontalier même sans franchissement de frontière. Cela s’explique par l’ambiguïté pratique de la frontière qui neutralise la tentative des juges constitutionnels de protéger une liberté sur la base d’une distinction tenant sur une conception linéaire de la frontière. Mots-clés : Frontière, délit de solidarité, conseil constitutionnel, ethnographie juridique, aide humanitaire Since the July 6 2018 French constitutional decision regarding the principle of “fraternity,” a selfless humanitarian act has been lawful if confined to the national territory, but unlawful if it constitutes an aid to irregular entry into that territory. Judges have thus employed the borderline category to distinguish a lawful humanitarian act (within the territory) from an unlawful one (involving crossing a border). This survival of the borderline category raises questions, as it contrasts with the numerous analyses that have demonstrated the thickness and mobility of the border. This article proposes a careful examination of the borderline category, undertaken through the analysis of both the function given to it in law, as well as the effects it produces once implemented in the field, at the French-Italian border, with regard to the criminalization of humanitarian acts. The employed method is that of legal ethnography, which considers the technicality of the law while observing its on-the-ground operationalization. This approach reveals a dual mechanism linked to the use of the borderline. On the one hand, from the perspective of volunteers, the line is imposed in the field as a limit not to be crossed, with the dangers of the mountain meanwhile indifferent to this demarcation, which in turn calls into question volunteers’ individual and collective positioning. On the other hand, fieldwork reveals that the actors of criminalization, through a certain use of criminal procedure, manage to reproduce the thickness of the border to punish acts carried out in the border area even when it has not been crossed. This is due to the practical ambiguity of the border, which neutralizes the attempt by constitutional judges to protect certain humanitarian acts based on a distinction dependent on a linear conception of the border. Keywords: Border, crime of solidarity, constitutional court, legal ethnography, humanitarian help |
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ISSN: | 1492-1367 |
DOI: | 10.7202/1114787ar |